Politique énergétique
Contenu carbone des énergies : Et l’électricité dans tout ça ?
Les nouvelles ambitions françaises et européennes en matière climatique ont justifié le besoin de mettre en œuvre une vision stratégique claire et ambitieuse à long terme. La Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC) et la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) [2], introduites pour la première fois par la Loi de la transition écologique pour la croissance verte (LTECV) en 2015, ont ainsi été révisées en 2020 sur la base des travaux menés par le Ministère de la Transition Écologique et devraient l’être de nouveau en 2024. A l’heure où le Gouvernement français propose des moyens concrets pour se placer sur la trajectoire de la neutralité carbone à l’horizon 2050 au travers de l’esquisse de sa planification écologique préfigurant un projet de loi de programmation sur l’énergie et le climat, l’Observatoire de l’Industrie Electrique (OIE) revient sur les liens qui unissent émissions de gaz à effet de serre et énergies sur le territoire national.
I. Contenus carbone des énergies fossiles
L’importance prise par les émissions de gaz à effet de serre (GES) nationales conduit à s’intéresser plus spécifiquement au contenu carbone (également appelé facteur d’émissions) des différentes énergies [3]. Les émissions de GES sont en effet induites en grande partie par la consommation directe ou indirecte d’énergies fossiles, à hauteur de la multiplication de leur volume consommé et de leur contenu carbone.
Les contenus carbone en analyse de cycle de vie des combustibles fossiles contiennent deux phases :
- L’amont : elle concerne les émissions liées à la phase de production et au transport du combustible (activités d’extraction, de transport, de raffinage éventuel et de distribution au consommateur) ;
- La combustion : elle correspond aux émissions directes lorsque le combustible brûle.
Les valeurs pour les différentes énergies fossiles consommées en France sont les suivantes [4] :
Le charbon est l’énergie fossile la plus émettrice de GES mais sa consommation est de plus en plus marginale en France, notamment grâce à la fermeture progressive des centrales électriques fonctionnant avec ce combustible [5]. Elle a représenté 2,9 TWh sur l’année 2022 (soit 1 % de moins que l’année 2021), ce qui représente 0,6 % de la production totale.
Le fioul domestique est également très émetteur de GES. Il est encore utilisé aujourd’hui pour des usages tels que le chauffage des bâtiments ou des piscines. En 2022, on dénombrait encore environ 2,8 millions de chaudières au fioul dans le parc résidentiel et 140 millions de m² chauffés au fioul dans le parc tertiaire [6].
Le gazole routier et l’essence sans plomb sont des carburants d’origine pétrolière utilisés pour la motorisation des véhicules. Leur consommation [7] est à l’origine de la quasi-totalité des émissions du secteur des transports, premier secteur émetteur de GES en France. En 2021, 418 MtCO2ez ont ainsi été émises par le secteur.
Le gaz naturel est encore massivement utilisé comme combustible dans la production de chaleur pour le chauffage des bâtiments, la cuisson et la production d’eau chaude sanitaire [8]. Il est également utilisé dans le secteur industriel pour de plus vastes usages tels que la production d’ammoniac et d’urée [9], ainsi que dans la production d’électricité. Le Gaz Naturel Véhicule (GNV), produit dérivé du gaz naturel, est exclusivement utilisé par le secteur des transports, essentiellement pour alimenter des flottes de bus ainsi que des bennes à ordure.
Les contenus carbone de ces énergies comme l’essence sans plomb ou le gazole routier peuvent toutefois être amenés à diminuer dans le cas d’intégration d’une composante renouvelable telle que le biométhane ou les biocarburants [10].
Avec un contenu carbone de seulement 44 gCO2/kWh PCI [11], le biométhane permet ainsi de réduire les émissions liées à la combustion du gaz lorsqu’il est injecté dans le réseau national. Cependant, l’injection de 2 TWh de biométhane au premier trimestre 2023 ne représente qu’un peu plus de 1 % de l’ensemble du gaz consommé en France durant cette même période [12].
Pour la filière essence, il existe l’éthanol, son dérivé l’éthy tertio butyl éther (ci-après ETBE) et les bio-essences de synthèse. L’éthanol, produit à partir de ressources agricoles telles que la betterave à sucre et les céréales, se heurte toutefois à une problématique de concurrence alimentaire. On parle de « génération ». Ainsi, l’éthanol de deuxième génération valorise la part lignocellulosique non alimentaire de la plante ainsi que les déchets et n’a plus d’incidence directe sur la concurrence alimentaire.
Pour la filière gazole, les « agrocarburants » sont les esters méthyliques d’acides gras (ci-après EMAG), les esters méthyliques d’huile végétale (EMHV) et enfin les biogazole de synthèse. Les esters de première génération sont produits à partir de d’huiles végétales extraites de plantes oléagineuses telles que le colza et le tournesol, de graisses animales, ou encore d’huiles végétales usagées et de déchets graisseux. Il existe là encore une seconde génération de biogazole, destinée à valoriser d’autres aspects de la plante afin de ne pas rentrer en concurrence avec la filière alimentaire.
En 2019, 40,2 TWh de biocarburants ont ainsi été consommées. Au total, ce sont respectivement 7,9 % et 7,3 % de l’énergie contenue dans les essences et le gazole qui était d’origine renouvelable [13].
A mesure que le taux d’incorporation de ces biocarburants augmente dans les carburants conventionnels d’origine fossile (essence et gazole), les contenus carbone diminuent. Les contenus carbone à la pompe de l’essence E85 [14] ou du gazole B30 [15] sont ainsi plus faibles que ceux de l’essence Sans Plomb ou du gazole routier [16] :
- L’essence E85, qui intègre une part importante de bioéthanol (entre 60 et 85 % du volume final), a un contenu carbone de 174 gCO2/kWh PCI [17], contre 311 gCO2/kWh PCI pour les carburants sans plomb (95, 95-E10, 98) ;
- Le diesel B30, qui intègre une part de biodiesel pouvant aller jusqu’à 30 %, a un contenu carbone de 273 gCO2/kWh PCI, contre 319 gCO2/kWh PCI pour le gazole routier.
Le contenu carbone de la biomasse admet l’hypothèse de la neutralité carbone [18]. On suppose ainsi que les émissions de la combustion de la biomasse sont compensées par la séquestration en amont d’une quantité de carbone. Cette hypothèse constitue une simplification méthodologique et n’est valable que dans le cas d’une « gestion durable » de la ressource. En réalité, l’augmentation des prélèvements de biomasse forestière par rapport à un scénario tendanciel est responsable d’une moindre séquestration de carbone et donc dans un premier temps d’une « dette carbone » qui n’est compensée qu’après un « temps de retour » carbone qui peut être de plusieurs dizaines d’années [19]. C’est pourquoi, cette notion doit faire l’objet d’une attention particulière lors de la réalisation des bilans de GES.
Afin de réduire encore davantage les émissions, les secteurs de la mobilité, du bâtiment et de l’industrie opèrent depuis quelques années des reports d’usages vers des vecteurs énergétiques moins carbonés, tels que l’électricité et les réseaux de chaleur et de froid. Les analyses en termes d’émissions se font cependant selon un cadre légèrement différent. En effet, le kWh d’électricité consommé revêt un contenu carbone qui dépend de la façon dont les modes de production sont mobilisés pour la produire. A la différence des combustibles fossiles, les émissions ne sont produites à la consommation de l’usage mais à la production.
II. Electricité : un contenu carbone moyen à faible de la consommation
1. Point méthodologique
La consommation de chaleur issue des réseaux de chaleur et la consommation d’électricité partagent comme point commun le fait que les émissions associées à la consommation sont toutes produites à la source, par les moyens de production utilisant des énergies fossiles. Le contenu carbone varie ainsi au gré des modes de production mobilisés.
Un réseau de chaleur est une installation distribuant à des clients la chaleur produite par une ou plusieurs chaufferies : le contenu carbone d’un tel réseau sera donc directement associé aux énergies utilisées pour produire la chaleur dans les chaufferies. Depuis une décennie, on observe une forte baisse de ce contenu carbone, les réseaux de chaleur ayant fait des efforts particulièrement importants pour « verdir » leur mix énergétique initial.
Si l’énergie majoritairement utilisée pour alimenter les réseaux de chaleur reste le gaz naturel, la part de la biomasse et des énergies de récupération est en augmentation depuis 2012. La dernière valeur moyenne donnée pour le contenu carbone des réseaux de chaleur en France était ainsi de 94 gCO2/kWh en 2021, ce qui représente une division par deux en dix ans [20].
Selon France Chaleur Urbaine, les réseaux de chaleur cumulent environ 6 529 km de conduites et raccordent près de 45 000 logements. Ils sont alimentés à environ 63 % par des énergies renouvelables et de récupération.
Il existe toutefois une spécificité propre à l’électricité, s’agissant de la possibilité accordée aux pays de s’échanger de l’électricité via leurs frontières. En effet, le contenu carbone de la production française n’est pas égal au contenu carbone de la consommation française, car les volumes d’imports aux contenus carbones différents de ceux de la production, ont un impact sur la consommation française. Il existe donc plusieurs méthodes pour prendre en compte l’impact de ces échanges dans le calcul du contenu carbone de la consommation d‘électricité :
- Considérer un « bouquet d’électricité » : cette approche vise à faire le bilan des quantités produites, importées et exportées à chaque heure, puis à calculer les émissions induites de ces trois quantités d’électricité, pour enfin calculer un contenu carbone propre à la consommation (qui ne se préoccupe pas de « suivre » les électrons) ;
- Prioriser la consommation des quantités produites sur le territoire et réexporter l’excédent qui provient des imports : une telle méthode aura tendance à minimiser le contenu carbone de la consommation française d’électricité, puisque la production nationale est davantage décarbonée que celle de ses voisins ;
- Prioriser les quantités d’imports et réexporter l’excédent en piochant dans la production française : cette méthode conduira à l’inverse à surévaluer légèrement le contenu carbone de la consommation française.
L’Ademe utilise une méthode qui se trouve à la croisée des deux premières. Elle considère un bouquet d’électricité, dans lequel elle suppose que le contenu CO2 associé au solde exportateur est égal à celui de la production française. Le contenu carbone du solde importateur est quant à lui égal à celui retenu par l’Agence Internationale de l’Energie pour le périmètre « Europe des 28 » [21].
2. Contenu carbone annuel moyen de la consommation française d’électricité
Le contenu carbone moyen annuel de la consommation française d’électricité pour la France continentale selon l’Ademe est segmenté de la façon suivante :
- L’amont : ce terme générique comprend le cycle amont des combustibles utilisés et les émissions annexes de fonctionnement ;
- La combustion : elle correspond à la phase de combustion du combustible (gaz naturel, fioul lourd, charbon …) dans la centrale de production d’électricité ;
- Les pertes : ce sont les consommations associées aux pertes sur les réseaux de transport et de distribution.
Le contenu carbone moyen de la consommation française d’électricité en 2019 était de 61 gCO2eq/kWh. Il n’a eu de cesse de baisser depuis, malgré la reprise des activités post-covid. En 2022, le contenu carbone moyen annuel de la consommation française d’électricité s’établissait ainsi à 52 gCO2eq/kWh.
Le faible contenu carbone de l’électricité française, en comparaison à ceux de ses voisins européens, s’explique en grande partie par la nature des modes de production auxquels la France fait appel pour produire son électricité. Le graphique ci-dessous illustre, pour chaque zone de marché avec laquelle la France est interconnectée, la proportion de l’électricité produite par modes en pourcentage.
Au cours des années 2016 à 2019, seulement 10 % de la production électrique française a été assurée par les centrales thermiques à combustibles fossiles (fioul, charbon et gaz). Cette même statistique varie entre 40 et 50 % selon les années pour la zone Central West Europe (Allemagne, Belgique et Pays-Bas), 50 % pour la Grande-Bretagne et 40 % pour l’Espagne [22].
En l’état, les précédents contenus carbone de l’électricité consommée peuvent être comparés à ceux des énergies fossiles présentés au sein de la première partie de la présente note. Le Gaz Naturel (240 gCO2eq/kWh) dispose d’un contenu carbone plus de 4 fois supérieur à celui de l’électricité consommée en France, tandis que celui du charbon (377 gCO2eq/kWh) est plus de 7 fois supérieur. Ces valeurs mettent en lumière le caractère largement décarboné de l’électricité produite en France et montre l’intérêt d’y opérer massivement des reports d’usages.
Toutefois, à la différence des contenus carbones des énergies fossiles, celui de l’électricité évolue en permanence au gré des modes de production mobilisés, c’est-à-dire au fil des heures. Une lecture en série temporelle de son évolution est intéressante de ce point de vue.
3. Une lecture horaire du contenu carbone de la consommation française d’électricité
Les séries temporelles horaires des contenus carbone de la production et de la consommation française d’électricité entre janvier 2016 et décembre 2019 sont représentées sur le graphique ci-dessous.
La série temporelle du contenu carbone de la production (en bleu) montre des pics dus à des appels aux modes thermiques, essentiellement contenus sur les périodes de chauffe pour couvrir la consommation mais également sur des périodes estivales (notamment en 2017) pour pallier les indisponibilités des centrales nucléaires alors en travaux dans le cadre du « grand carénage ». Lors du mois de juillet 2017 (hors chauffe), les niveaux de production des modes de production thermiques d’origine fossile gaz et charbon étaient plus élevés, en valeur absolue et en part, qu’en janvier 2018. Cette variation de la part des modes de production fossile explique la hausse du niveau du contenu carbone de la consommation sur la période estivale de l’année 2017. Sur la période étudiée, le pic du contenu carbone de la production atteint 120 gCO2eq/kWh le 8 novembre 2016 à 18 heures, tandis que sa valeur minimale atteint 7 gCO2eq/kWh le 22 juin 2018 à 14 heures.
La série temporelle du contenu carbone de la consommation (en rouge) rappelle la tendance d’évolution de celui de la production française. Elle est cependant plus élevée et souligne les importations carbonées que la France réalise auprès de ses voisins. Toutefois, une grande part du contenu carbone de l’électricité semble, à ce stade de l’analyse, déterminée par la production française. Sur l’ensemble de la période étudiée le contenu carbone de la consommation le plus élevé égale 160 gCO2eq/kWh, toujours inférieur au contenu carbone moyen annuel du gaz naturel (240 gCO2eq/kWh).
III. Conclusion
L’analyse des contenus carbone des énergies renseigne sur la pertinence des changements de vecteurs énergétiques à mener pour réduire les émissions de gaz à effet de serre induites par les énergies fossiles. Les facteurs d’émissions de ces dernières sont, en France continentale, en moyenne 4 à 7 fois supérieurs à celui de l’électricité consommée et le restent, dans des facteurs moindres, même lors des pics d’émissions. Ce recours aux reports d’usages carbonés vers l’électricité bas carbone figure, aux côtés de la sobriété et de l’efficacité énergétique, comme l’un des trois leviers à mettre en œuvre pour décarboner l’économie et atteindre la neutralité carbone.
Le fonctionnement du système électrique est toutefois complexe car la hausse de la demande induite par l’électrification des usages doit être couverte dans le même temps par une augmentation de la production bas carbone. L’enjeu de la politique énergétique relève donc davantage de la cohérence entre le développement des moyens de production et de l’électrification de nos usages, que du traitement de ces deux variables de façon indépendante.
Notes
[1] OIE, « PPE et SNBC : Deux piliers pour l’énergie et le climat », décembre 2018
[2] OIE, « PPE et SNBC : Deux piliers pour l’énergie et le climat », décembre 2018
[3] OIE, « Gaz à effet de serre : quoi, pourquoi, combien ? », juillet 2023
[4] Base Carbone de l’Ademe
[5] Malgré le rehaussement des seuils de fonctionnement autorisés des centrales en prévision de l’hiver 2022-2023 annoncé comme particulièrement tendu d’un point de vue de la sécurité d’approvisionnement, la production d’électricité à partir de charbon est restée en 2022 inférieure à celle de 2021. Elle a représenté 2,9 TWh sur l’année (soit 0,6 % de la production totale). L’analyse du Bilan prévisionnel 2023 de RTE doit permettre d’évaluer les conditions précises dans lesquelles la production au charbon peut être réduite au cours des prochaines années, puis abandonnée (dans le cadre d’une fermeture des unités ou de leur reconversion).
[6] Secrétariat Général à la Planification Écologique, « La planification écologique dans les bâtiments », juin 2023
[7] En France, 10,4 milliards de litre d’essence et 35,4 milliards de litre de gazole ont été consommés en 2021.
[8] OIE, « Energies en France : qui consomme quoi ? », juillet 2020
[9] L’urée est un engrais azoté d’origine industrielle qui est utilisé en agriculture comme fertilisant. Il renferme 46 % d’azote et se présente sous la forme de petites perles de 1 à 2 mm de diamètre.
[10] Les biocarburants désignent les carburants de substitution obtenus à partir de la biomasse (matière première d’origine végétale, animale ou issue de déchets). Ils sont incorporés dans les carburants d’origine fossile.
[11] ADEME, Base Carbone®, 2023
[12] MTE, « Data Lab, Conjoncture énergétique, Premier trimestre 2023 », mai 2023
[14] La proportion de bioéthanol dans l’essence E85 varie entre 65 % en hiver et 85 % en été.
[15] e gazole B30, qui comporte une part de 30 % de biocarburant, n’est réservé qu’à des flottes captives car il n’est pas compatible avec les moteurs de nombreux véhicules Diesel déjà mis en circulation.
[16] ADEME, Base Carbone®, 2023
[17] Le PCI désigne le pouvoir calorifique inférieur d’un combustible, soit la quantité de chaleur libérée au moment de sa combustion. On le distingue du pourvoir calorifique supérieur (PCS) qui prend également en compte la chaleur récupérée par la condensation de la vapeur d’eau, et dont toujours supérieure au PCI.
[18] ADEME, Base Carbone®, 2023
[19] ADEME, Forêt et atténuation du changement climatique, 2015
[20] SNCU / FEDENE, Enquête annuelle sur les réseaux de chaleur et de froid, 2022
[21] Ces considérations sont discutées dans l’étude menée à l’UFE traitant du sujet.
[22] Calcul UFE – données de production par mode au pas de temps horaire pour les années 2016, 2017, 2018, 2019 – database ENTSO-E transparency platform.