Système électrique
Que se passe-t-il en situation de déséquilibre offre/demande sur le système électrique ?
							L’électricité étant aujourd’hui difficilement stockable en grande quantité et sur un temps long, l’ensemble du système électrique est donc dimensionné pour assurer en permanence l’équilibre entre l’offre, la production et la demande, la consommation. En cas de déséquilibre entre ces paramètres, il existe un danger pour les équipements raccordés ainsi que des risques de coupures d’électricité.
Dans cette deuxième note, l’OIE revient sur les différentes moyens qui permettent au système électrique de conserver ou de rétablir son équilibre.
						
Le rôle de l’inertie :
- L’inertie n’est pas un service système (cf. infra), néanmoins ce phénomène physique participe en lui-même à l’équilibre du système électrique. La fréquence de l’onde électrique conditionne la vitesse de rotation de la plupart des moteurs électriques alimentés par le réseau électrique, mais aussi la vitesse de rotation des alternateurs injectant de l’électricité dans le réseau (on dit qu’ils sont synchrones, c’est-à-dire « couplés » au réseau). Les technologies historiques de production d’électricité à l’aide d’alternateurs comme ceux utilisés dans les centrales thermiques (nucléaire ou à combustible fossile) ou hydrauliques constituent des masses tournantes, pouvant atteindre plusieurs dizaines de tonnes, qui représentent une résistance au ralentissement ou à l’accélération de leur rotation. L’inertie physique de ces moyens de production est importante pour le maintien de la fréquence du réseau au quotidien.
- Tous les moyens de production ne sont pas égaux en matière d’inertie. En effet, les technologies comme le photovoltaïque ou l’éolien génèrent de l’électricité et l’injectent sur le réseau à partir d’électronique de puissance [1], et non de machines synchrones à masses tournantes, qui jouent un rôle clé dans la stabilisation du réseau.
- Ces moyens de production sont actuellement majoritaires dans le système électrique européen, offrant une importante inertie. à l’avenir, le développement des moyens de production non synchrones (comme le photovoltaïque, l’éolien) ainsi que l’essor des véhicules électriques et les batteries, tous reposant sur des convertisseurs de puissance, rendra le réseau électrique de plus en plus dépendant de l’électronique de puissance.
- Pour faire face à cette problématique, plusieurs solutions techniques existent. La technologie de grid-forming permet ainsi de piloter une centrale photovoltaïque ou éolienne avec une tension constante, participant ainsi avec les autres producteurs à générer la forme de l’onde électrique, plutôt que de subir passivement les variations de tension du réseau. À l’heure actuelle, cette technologie est utilisée sur certains petits réseaux insulaires, mais pas à grande échelle sur les réseaux d’Europe continentale. Les compensateurs synchrones peuvent également participer à la stabilité du réseau. Il s’agit de machines tournant à vide connectées au réseau, qui permettent d’absorber de la puissance réactive et de participer au réglage de la tension.
En cas de déséquilibre entre injection et soutirage, RTE doit pouvoir réagir le plus rapidement possible pour rétablir l’équilibre du système électrique. Pour ce faire, il dispose de deux outils : les services système et le mécanisme d’ajustement. Ceux-ci interviennent à des échelles de temps et de puissance différentes [2].
En cas de situations critiques d’exploitation du système électrique, le Plan de Défense du Réseau public de Transport permet à RTE de prévoir la participation des fournisseurs au dispositif d’interruptibilité avant l’activation du délestage automatique de consommation. Ce dispositif permet d’interrompre certains consommateurs industriels en moins de 5 secondes.  La capacité interruptible ne doit pas dépasser 1200 MW et doit être satisfaite avec des sites disposant d’une capacité interruptible supérieure ou égal à 10 MW. En cas de menace grave et imminente sur la sécurité d’approvisionnement en électricité, le gestionnaire de réseau peut également avoir recours à des dispositifs de secours hors marché [3].
 
De nombreux textes juridiques européens organisent les obligations des gestionnaires de réseau de transport et structurent le cadre de l’équilibre (CACM [4], SOGL [5], EBGL [6], CEP [7]). Par conséquent, la France uniformise progressivement ses réserves et se connecte aux différentes plateformes européennes de partage de produits d’équilibrage. PICASSO [8], MARI [9] et TERRE [10] [11] sont les principaux résultats du règlement européen 2017/2195 Electricity Balancing. Il s’agit de projets des GRT pour la mise en place des plateformes d’équilibrage européennes. Ces projets amélioreront l’efficacité de l’équilibrage en Europe et intégreront les marchés de l’énergie d’équilibrage.
Les marchés d’énergie d’équilibrage en Europe :
 
 
Source : ENTSOE
1. LES SERVICES SYSTÈMES
Il existe deux types de services système qui se distinguent par leur temps de mises en œuvre : la réserve primaire dont le délai d’action est inférieur à 30 secondes et la réserve secondaire dont le délai d’action est inférieur à 5 minutes. Ces deux réserves sont activées automatiquement en fonction de deux paramètres :
- L’écart de fréquence de la zone européenne continentale à la fréquence de référence (50 Hz) pour le réglage primaire ;
- Le niveau de réglage pour la réserve secondaire. Les réserves primaires et secondaires doivent permettre, après un aléa, que le GRT soit en mesure de rétablir les échanges de sa zone de réglage en moins de 15 minutes.
La réserve primaire (ou FCR [12] pour l’UE)
Il s’agit de la première réserve activée en cas de déséquilibre détecté (à la baisse ou à la hausse).
Elle concerne l’ensemble des producteurs européens interconnectés au réseau de transport. Au niveau européen, cette réserve est dimensionnée pour pouvoir compenser la perte de deux des plus gros groupes présents dans la zone synchrone d’Europe continentale, représentant 3 000 MW (équivalent des deux plus gros réacteurs nucléaires). Chaque état participant au réseau interconnecté y contribue. Ainsi la part française est établie à environ 500 MW à l’année [13].
À l’heure actuelle, tous les producteurs ne sont pas visés. Seules les nouvelles installations dont la capacité dépasse 40 MW et les anciennes installations dont la capacité dépasse 120 MW qui sont connectées au réseau de transport et qui disposent d’une capacité constructive de réglage de fréquence ou de tension doivent y participer [14]. Elles sont obligées de mettre à disposition de RTE une partie de leur capacité.
Depuis mars 2023, cette réserve est contractualisée par organisation d’appels d’offres transfrontaliers la veille (en « J-1 ») via la FCR Cooperation (France, Allemagne, Autriche, Belgique, Pays-Bas, Suisse, Danemark de l’Ouest, République Tchèque et Slovénie). Les offres sont sélectionnées au moyen d’un unique algorithme commun à tous les GRT et sont prises en compte dans le processus de sélection. Les acteurs français obligés se doivent réglementairement de participer à ces appels d’offres [15].
Les offres sont sélectionnées par le marché et, une fois l’offre retenue, son activation physique se fait automatiquement en temps réel. Les offres sont sélectionnées sur la base de la pertinence économique, en prenant en compte les contraintes d’import/export par pays et la limite des échanges de réserves entre pays fixées au niveau européen. Les offres de capacité retenues sont rémunérées au prix marginal issu de l’appel d’offre (en €/MW) et l’énergie produite est valorisée au prix spot au pas de 15 minutes.
 
DMO [16]
La réserve secondaire (ou aFRR [17] pour l’UE)
L’activation de la réserve primaire permet de rétablir la stabilité de la fréquence du réseau électrique, mais elle ne permet généralement pas d’atteindre la fréquence cible de l’onde électrique (50 Hz). La réserve secondaire du pays duquel est issu le déséquilibre initial peut donc être activée à la hausse ou à la baisse. Elle contribue à rétablir l’équilibre prévu du système électrique aux frontières de la France. Son délai de réponse est de moins de 5 minutes et elle est automatique. La réserve secondaire est dimensionnée pour un volume de 500 MW minimum.
Depuis l’entrée en vigueur du nouvel accord opérationnel du bloc de réglage fréquence-puissance (bloc RFP), le besoin en réserve secondaire est calculé selon la plage horaire et la période de l’année (hiver et été) [18]. RTE contractualise son besoin de capacités d’aFRR par un appel d’offres national en J-1. Tous les groupes de production de plus de 120 MW ont l’obligation règlementaire de lui affecter au moins 4,5 % de leur puissance maximale [19].
À l’instar de la réserve primaire, les offres de capacité retenues sont rémunérées au prix marginal issu de l’appel d’offre. L’activation de la réserve secondaire s’effectue quant à elle au travers d’un appel d’offre spécifique pour l’énergie. En effet, en novembre 2023, l’approvisionnement en énergie aFRR en France est passé d’un service régulé à un marché ouvert. Ainsi, au lieu que RTE ne fixe chaque année le prix de l’énergie d’équilibrage aFRR, le prix sera désormais déterminé à chaque période sur un marché libre, permettant aux responsables de réserve de se concurrencer pour fournir ce service et équilibrer le système au prix optimal.
Par ailleurs, RTE s’est connecté à la plateforme PICASSO le 2 avril 2025 qui permet l’échange d’énergie de réglage secondaire entre de nombreux GRT Européens (France, Belgique, Pays-Bas, Danemark, Allemagne, Finlande, République Tchèque, Slovaquie, Autriche, Italie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Bulgarie et Grèce).
 
 
2. LE MÉCANISME D’AJUSTEMENT
Enfin, RTE peut décider d’activer la réserve tertiaire à travers le mécanisme d’ajustement pour permettre de compléter la réserve secondaire si celle-ci est épuisée ou insuffisante, mais aussi de se substituer aux réserves primaire et secondaire. Selon les exigences de la Policy 1 d’ENTSO-E, le dimensionnement des réserves disponibles en moins de 15 minutes doit reposer sur l’évaluation d’un aléa dimensionnant. Dans le cas de RTE, il s’agit de la perte du plus gros groupe de production qui peut être couplé au réseau, soit 1 500 MW.
On distingue alors la réserve rapide (mFRR [20]) de la réserve complémentaire (RR [21]) :
- La réserve rapide est composée de 1 000 MW activables en moins de 15 minutes.
- La réserve complémentaire est composée de 500 MW activables en moins de 30 minutes.
Ces deux réserves doivent être capables de couvrir chaque jour deux occurrences d’un aléa équivalent à l’aléa dimensionnant. De plus, RTE s’assure de disposer de réserves tertiaires suffisantes en concluant, en amont du temps réel, des contrats avec des acteurs d’ajustement pour assurer la disponibilité de moyens de réserves.
Suite à l’article 18 de la loi n°2025-391 du 30 avril 2025, l’article L. 321-13 du code de l’énergie dispose que «    la totalité de la puissance techniquement disponible à la hausse et à la baisse, sur chacune des installations de production dont la puissance installée est supérieure ou égale à un seuil, raccordées aux réseaux publics de transport ou de distribution d’électricité, est mise à la disposition du gestionnaire du réseau public de transport d’électricité par les producteurs dans leurs offres sur le mécanisme d’ajustement. Ce seuil, qui ne peut être inférieur à dix mégawatts et peut dépendre du type d’énergie utilisée, est fixé selon les règles mentionnées au dernier alinéa de l’article L. 321-10  ». Cette modification a vocation à faire évoluer le cadre règlementaire existant pour augmenter le gisement d’offres à la baisse sur le mécanisme d’ajustement. Ce changement est effectif dès la promulgation de la loi pour les sites raccordés au Réseau Public de Transport et au 31 décembre 2025 pour les sites raccordés au Réseau Public de Distribution. 
 
Toutes deux sont contractualisées, c’est-à-dire que les groupes de production (ou les effaceurs) répondent aux appels d’offres lancés par RTE, en vertu de l’article L. 321-11 et L. 321-12 du code de l’énergie. Les appels d’offres peuvent porter sur des installations de production comme pour les autres réserves, mais également sur des effacements de consommation.
Aujourd’hui, les capacités contractualisées par RTE via un appel d’offres annuel et un appel d’offres journalier permettent de disposer de capacités à la hausse uniquement, dont :
- 1 000 MW de réserve rapide mobilisables en moins de 13 minutes, activables jusqu’à 4 fois par jour pour une durée n’excédant pas 4 heures au total (réserve rapide) ;
- 500 MW de réserve complémentaire mobilisables en moins de 30 minutes, activables jusqu’à 3 fois par jour pour une durée n’excédant pas 3 heures au total (réserve complémentaire).
 
Cette contractualisation est avant tout « assurantielle » et est particulièrement adaptée à
une situation où l’activation des réserves contractualisées est limitée majoritairement à la réponse à un aléa (perte de groupe, déclenchement de liaison à courant continu, etc.).
Les lauréats de l’appel d’offres concluent avec RTE un contrat passé annuellement mais qui peut les engager pour une durée bien plus courte prédéterminée par les acteurs, au cours de laquelle la capacité mise à disposition est rémunérée au prix marginal de l’appel d’offres. En cas de sollicitation, les lauréats sont rémunérés pour l’énergie produite selon les conditions sur lesquelles ils se sont accordés avec RTE.
En vertu de l’article L. 321-12 du code de l’énergie, RTE peut également constituer sa réserve tertiaire contractualisée auprès de consommateurs raccordés au réseau public de transport ou de distribution, « […] lorsque leurs capacités d’effacement de consommation sont de nature à renforcer la sûreté du système électrique » [22]. Au total, RTE peut donc mobiliser 1 500 MW à la hausse de production ou d’effacement de consommation, permettant de rétablir l’équilibre à la suite d’une perte fortuite du plus gros groupe de production en France. La perte fortuite d’un groupe de production peut se produire, entre autres, en cas de mise à l’arrêt du moyen de production pour diverses raisons ou par dysfonctionnement du réseau de transport d’électricité entraînant une déconnexion du moyen de production. Ces deux réserves agissent comme des sécurités pour le système électrique.
La réserve tertiaire en énergie, quant à elle, n’est pas contractualisée en amont car RTE ne paie pas une disponibilité de puissance mais une quantité d’énergie. Elle est dépendante de ce que les acteurs offrent. Elle est activable à la hausse et à la baisse, selon un délai également variable. L’article L.321-13 du code de l’énergie oblige tous les producteurs raccordés au réseau de transport à mettre à disposition de RTE leur puissance non utilisée techniquement. Le rôle de RTE, lorsqu’il active le mécanisme d’ajustement, est de respecter la préséance technico-économique des offres qui sont à sa disposition22. Dans le cas de la réserve tertiaire en énergie, les groupes de production ne sont rémunérés que lorsqu’ils sont activés.
Somme des volumes mensuels activés par RTE par type de réserve sur la période 2019-2025 :
 
D’un point de vue général, il semblerait que la mFRR (à la hausse et à la baisse) soit davantage activée en hiver. Les volumes activés en RR à la hausse sont aussi particulièrement importants à partir de fin 2019 jusqu’au printemps 2021 avant de diminuer de manière significative.
Depuis 2019, la RR à la baisse a été la réserve la plus activée, avec un total de 15 554 GWh, suivie de la mFRR à la hausse (12 059 GWh). Il est intéressant de noter que les volumes maximaux mensuels de RR ont atteint 438 GWh à la hausse (décembre 2019) et 329 GWh à la baisse (mars 2020). Concernant la mFRR, les volumes maximaux mensuels se sont élevés à 323 GWh à la hausse (janvier 2021) et 289 GWh à la baisse (janvier 2020). En 2025, la RR à la baisse apparaît déjà comme la réserve la plus conséquente, avec 322 GWh en juillet, tandis que la mFRR à la hausse culmine à 211 GWh au mois d’avril.
Notes
[1] Les technologies d’électronique de puissance comprennent l’ensemble des dispositifs permettant de convertir ou de contrôler l’énergie électrique à l’aide composant électroniques (onduleurs par exemple).
[2] Pour plus d’information, voir : services-rte.com
[3] Article L. 321-17-1 du Code de l’énergie
[4] Capacity Allocation and Congestion Management (Règlement 2015/1222)
[5] System Operation Guideline (Règlement 2017/1485)
[6] Electricity Balancing Guideline (Règlement 2017/2195)
[7] Clean Energy Package
[8] Platform for the International Coordination of Automated Frequency Restoration and Stable System Operation
[9] Manually Activated Reserves Initiative
[10] Trans European Replacement Reserves Exchange
[11] La possibilité introduite par la Réforme du Marché Européen de l’Electricité (2024) d’échanger de l’énergie jusqu’au 30 minutes avant le temps réel, rend l’échange de produits de réserves complémentaire impossible. Par conséquent, le projet TERRE sera terminé à partir du 9 Décembre 2025.
[12] Frequency Containment Reserve
[13] 516 MW pour l’année 2025, données RTE
[14] Article L. 321-11 du code de l’énergie et Article 11 - Décret n° 2008-386 du 23 avril 2008
[15] La participation peut se faire via le site : regelleistung.net
[16] Le Délai de Mobilisation correspond à la durée d’atteinte de la puissance cible.
[17] Automatic Frequency Restoration Reserve
[18] Fournir des services système fréquence, RTE
[19] Délibération n°2020-072 de la CRE portant orientations sur les évolutions relatives à la réserve secondaire et portant décision sur une demande de dérogation au titre de l’article 6 du règlement (UE) 2019/943 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 sur le marché intérieur de l’électricité.
[20] Manual Frequency Restoration Reserve
[21] Replacement Reserve
[22] Article L.321-10 code de l’énergie
