Système électrique
Le couplage des marchés européens de l’électricité
La récente crise des prix de l’énergie, due à des tensions d’approvisionnement sur le gaz, renforcée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie et par une indisponibilité historique du parc électronucléaire français, a conduit l’ensemble de la sphère politique et plus largement les acteurs économiques à s’interroger sur le fonctionnement des marchés de l’électricité. Si la forte dépendance du prix de l’électron à celui du gaz était ainsi déplorée en septembre dernier par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, le couplage des marchés de gros de l’électricité n’est en revanche pas remis en question dans la consultation de la Commission sur la réforme des marchés.
Le couplage des marchés consiste en un processus de mutualisation des offres et des demandes d’électricité entre différentes zones de prix et permet ainsi une maximisation globale de la valeur économique des zones de prix en conduisant, dans la limite des capacités d’interconnexion qui les relient, à un prix de gros commun. A l’heure où certaines voix se font entendre en France pour sortir du marché européen de l’électricité, l’Observatoire de l’Industrie Electrique (OIE), dans cette nouvelle note, vous propose de revenir sur cet aspect essentiel du fonctionnement des marchés de l’électricité.
I. Fonctionnement des marchés de gros de l’électricité
1. Les produits sur les marchés de gros de l’électricité
Le marché de l’électricité de gros européen recouvre en réalité plusieurs marchés de maturités diverses : à terme (jusqu’à maximum 3 ans), journalier [1] (J-1 ou « day-ahead »), infra-journalier (H-1 ou « intraday ») et d’équilibrage (une heure avant le temps réel via le mécanisme d’ajustement et les Services Systèmes [2]).
- Les produits de court-terme, dits « produits spot », sont échangés sur la bourse EPEX SPOT. Ils s’échangent aux échéances journalière (J-1) et infra-journalière (jusqu’à H-1) et résultent d’une optimisation de l’usage des moyens de production et d’effacement disponibles à l’horizon de temps considéré. Les prix des produits spot sont très volatils et reflètent l’équilibre offre-demande court terme (évènements climatiques/aléas sur les centrales de production ou les interconnexions…)
- Les « produits à terme », sont échangés sur la bourse EEX derivatives, ou par le biais de contrats en gré-à-gré intermédié ou bilatéral pur, aux échéances annuelles, trimestrielles, mensuelles et hebdomadaires. Les prix auxquels ils sont échangés résultent d’une anticipation des prix spot pour l’échéance considérée.
Dans leur stratégie de couverture (appelée aussi « stratégie de sourcing » ou « hedging »), les fournisseurs arbitrent entre le recours aux produits à terme et le recours aux produits spot :
- Les produits à terme permettent de sécuriser leur trajectoire financière sur les trois années à venir : Ils couvrent ainsi l’essentiel de leurs livraisons avec des produits à terme en se prémunissant d’une éventuelle envolée des prix de l’électricité.
- A la veille de la livraison, les fournisseurs, disposant d’une meilleure visibilité sur la consommation de leurs clients, acquièrent des produits spot afin d’équilibrer leur portefeuille.
L’édition 2020 du rapport de surveillance des marchés de gros de l’électricité de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) indique à ce titre que les échanges établis sur le marché spot ne représentent que 20 % des produits échangés à l’échelle européenne entre les zones de prix [3].
2. Principe de fixation des prix sur les marchés spots
La fixation du prix de marché spot journalier [4] à chaque heure est réalisée selon un mécanisme de préséance économique (« merit order ») permettant à l’offre de répondre à la demande au moindre coût. Les moyens de production sont utilisés par ordre de coût variable [5] croissant. La demande, pour sa part, s’exprime selon une courbe qui reflète la propension à payer des acheteurs. La rencontre de l’offre et de la demande détermine heure par heure le prix de marché journalier, qui s’applique à toutes les transactions (procédure « pay-as-clear » ou « de prix d’équilibre »). Le prix de marché correspond donc au coût variable de la dernière unité de production appelée pour satisfaire la demande.
En effet, suivant la logique de merit order, les premières centrales appelées sont les centrales renouvelables à coût marginal [6] nul ou très faible (éolien, solaire, hydraulique fil de l’eau). Viennent ensuite les centrales nucléaires puis les actifs à stock (hydraulique de barrage gérée en tenant compte de la contrainte de stock et du coût d’opportunité d’utilisation de la ressource) et les centrales thermiques fossiles à coûts marginaux plus élevés (charbon, gaz et fioul). Selon la relativité des prix du gaz et du charbon, le prix du CO2, qui affecte le coût marginal des centrales thermiques à flamme en fonction de leur niveau d’émissions, peut modifier l’ordre d’appel entre les centrales à gaz moins carbonées et les centrales à charbon plus carbonées.
A la différence du marché spot journalier décrit ci-dessus, le marché spot infra-journalier se déroule en continu et selon une procédure « pay-as-bid ». Les vendeurs soumettent des offres au pas demi-horaire en continu et une transaction est réalisée dès qu’un acheteur accepte le prix proposé. L’offre retenue est alors rémunérée à son prix et non selon la valeur de la dernière offre retenue comme en « pay-as-clear ».
II. Couplage des marchés spots de l’électricité
1. Principe général du couplage des marchés spots
Les marchés européens de l’électricité sont intégrés : ils permettent la sollicitation des moyens de production disponibles les plus compétitifs pour une heure et une zone géographique données, compte tenu des possibilités d’échanges offertes par les capacités d’interconnexion.
Les interconnexions en France
La capacité d’interconnexion globale de la France s’élevait en 2019 à 17,4 GW en export et 12,5 GW en import. Elle atteindra 20 GW en export et 15 GW en import à l’horizon 2023 à la suite de la mise en service complète des interconnexions IFA2 et ElecLink reliant la France avec la Grande Bretagne, ainsi que de celles reliant Savoie-Piémont avec l’Italie. Historiquement, la France est un pays plutôt exportateur, ce qui le conduit à avoir des capacités d’export plus importantes que les capacités d’imports. L’objectif européen est que la capacité d’interconnexion de chaque Etat membre représente l’équivalent de 15 % de la capacité totale de son parc de production d’ici 2030, tandis que le SDDR (Schéma Décennal de Développement des Réseaux) vise un doublement de la capacité d’interconnexion de la France en 15 ans, passant d’une quinzaine de gigawatts aujourd’hui à une trentaine à l’horizon 2035. De nouveaux projets de renforcement des lignes transfrontalières avec l’Espagne, l’Allemagne et la Belgique devraient ainsi porter la capacité d’interconnexion à environ 25 GW pour l’export et 20 GW pour l’import d’ici 2025 [7].
Ces interconnexions répondent à plusieurs enjeux :
- Elles garantissent une certaine stabilité technique des systèmes électriques et contribuent à la sécurité d’approvisionnement à moindre coût : le secours mutuel est facilité, les réserves [8] entre les pays interconnectés peuvent être mutualisées.
- Elles contribuent à lisser pour partie la variabilité de la production renouvelable (éolienne et photovoltaïque) par effet de foisonnement des sources de productions réparties sur un large espace géographique, ainsi que les aléas de disponibilité de tous les moyens de production.
- Elles permettent, en tant que support physique des transactions commerciales, une répartition optimale des capacités de production et d’effacement des zones de prix interconnectées : des économies sont réalisées si une production moins chère est disponible ailleurs dans la mesure où des capacités d’interconnexion sont disponibles.
Le cycle de vie de la capacité d’interconnexion
Les gestionnaires des réseaux de transport (GRTs) déterminent selon la méthode de transfert net de capacité (« Net Transfer Capacity », ci-après « NTC »), ou selon la méthode basée sur les flux (« flow-based »), les capacités physiques du réseau utilisables par le marché dans les règles d’exploitation et de sécurité fixées par les codes de réseau (calcul de capacité) puis les répartissent (répartition) aux différentes échéances de marché (annuelle, mensuelle, journalière). Les acteurs de marché acquièrent ensuite ces droits sur la capacité (allocation) de manière explicite (capacités transfrontalières et énergie sont acquises séparément) ou implicite (capacités d’interconnexion et énergie sont acquises de manière simultanée) puis informent les GRTs de leur volonté de les utiliser (nomination). Pour l’échéance long terme, les acteurs de marché ayant acheté les droits sur la capacité lors des enchères annuelle et mensuelle ont la possibilité de les utiliser physiquement en les nominant à l’échéance de nomination en J-1 ou de les revendre sur le marché journalier (principe du « use-it-or-sell-it »). Pour l’échéance journalière et infra-journalière, l’allocation de la capacité vaut pour une nomination et les acteurs de marché n’ont pas à les nominer. Chaque GRT calcule et valide enfin, pour chaque frontière, les programmes d’échanges commerciaux nominés (programmation) et en vérifie la cohérence avec les GRTs voisins (bouclage).
Lorsque ces capacités ne sont pas saturées (c’est-à-dire que la puissance du flux transitant aux interconnexions est inférieure à la capacité physique de ces dernières), le couplage des marchés spot (« market coupling ») conduit à un prix commun pour l’ensemble des zones de prix interconnectées. Le couplage des marchés consiste ainsi en un processus de mutualisation des offres et des demandes d’électricité entre différentes zones de prix, dans la limite des capacités d’interconnexion entre ces zones. Un algorithme opère simultanément la détermination des prix et l’allocation implicite des capacités transfrontalières, ce qui permet d’obtenir un prix identique dans les zones de prix lorsque les capacités ne limitent pas les échanges transfrontaliers. Ainsi, en 2021, le même prix a été constaté sur les marchés allemand et français en moyenne 49 % du temps. A l’inverse, si la marge de capacité entre deux zones de prix est insuffisante, la convergence des prix n’est plus assurée : la préséance économique est réévaluée en excluant les capacités de la zone de prix avec laquelle l’interconnexion est saturée.
Le couplage des marchés permet ainsi une maximisation globale de la valeur économique des zones de prix interconnectées. La demande européenne est satisfaite à un coût de production moindre que si les marchés des Etats-membres n’étaient pas connectés les uns aux autres : des économies sont réalisées si une production moins chère est disponible ailleurs.
Ce phénomène peut être illustré par la figure 1 considérant deux zones de prix. Supposons qu’initialement, le prix de la zone de prix A est inférieur à celui de la zone de prix B. La zone de prix A va donc exporter vers la zone de prix B.
Illustration du principe de couplage
Figure 1 : Impacts sur l’ordre de mérite de la zone exportatrice A en raison des importations réalisées par la zone importatrice B.
Source : UFE
En réaction à la demande supplémentaire induite par le zone importatrice B, la courbe de demande dans la zone exportatrice A se déplace vers la droite d’une translation équivalente à celle du niveau de la demande générée. Dans cette même zone, les prix augmentent alors de P1 à P1*, car les centrales de production à coût marginal plus élevé doivent être appelées. Dans la zone importatrice B, les importations se substituent à des centrales de production à coût marginal élevé et profitent aux acheteurs puisque le prix passe de P2 à P2*. Cette situation d’arbitrage aura lieu jusqu’à ce que le prix d’équilibre de la zone exportatrice atteigne le niveau pour lequel il n’y a plus d’opportunité (P1* = P2*) ou bien jusqu’à ce que les interconnexions entre les deux zones de prix soient saturées (P1* < P2*), auquel cas il demeurera un différentiel de prix résiduel (« spread »).
Historiquement, la France s’est plutôt illustrée dans le rôle de la zone exportatrice A, comme en témoigne le graphique ci-dessous. Il représente les volumes d’imports et d’exports agrégés mensuellement entre janvier 2018 et décembre 2022.
Figure 2 : Graphique des volumes mensuels importés et exportés entre janvier 2018 et décembre 2022.
Source : UFE, à partir des données ENTSO-E transparency platform.
Ainsi, entre 2018 et 2021, la France est non seulement exportatrice nette (elle exporte plus d’électricité qu’elle n’en importe sur l’année) mais elle est aussi le pays le plus exportateur d’Europe avec par exemple un solde exportateur de 43 TWh en 2021. Cette position traditionnellement exportatrice de la France s’est néanmoins inversée fin 2021 avec un solde importateur en novembre et décembre 2021 en raison d’une baisse de la disponibilité du parc nucléaire français. Certains réacteurs nucléaires ont été arrêtés dans le cadre des opérations planifiées du grand carénage, d’autres pour traiter les phénomènes imprévus de corrosion sous contrainte tandis que les calendriers de maintenance décennale de certaines centrales ont été décalés à la suite de la crise sanitaire. Cette tendance s’est poursuivie en 2022 où la France est devenue importatrice nette (16,4 TWh) pour la première fois depuis 40 ans : la France s’est ainsi retrouvée dans la situation de la zone importatrice B, bénéficiant, au plus fort de la crise des prix, des interconnexions avec les autres pays européens et de leur fonctionnement pour limiter la hausse des prix en France.
2. Historique et fonctionnement du couplage des marchés spots
Si l’allocation implicite des capacités (les capacités d’interconnexion et énergie sont acquises de manière simultanée) correspond aujourd’hui au modèle cible pour les horizons journalier et infra-journalier, cela n’a pas toujours été le cas. Lors de la mise en place du marché européen de l’électricité au début des années 2000, l’allocation explicite a d’abord constitué le modèle dominant d’attribution de la capacité transfrontalière en Europe (les capacités transfrontalière et énergie sont acquises aux enchères séparément) pour l’horizon de long terme [9], comme pour les horizons journaliers et infra-journaliers.
En raison de cette allocation explicite, les acteurs de marché devaient prévoir en amont les différences de prix horaires dans les différentes zones de prix et acquérir en fonction des droits d’utilisation d’interconnexion avant de pouvoir les utiliser pour transporter l’électricité achetée. Cette prévision, particulièrement complexe et donc nécessairement imparfaite, était source de perte d’opportunité en raison d’une utilisation sous-optimale des interconnexions voire d’une utilisation à contresens du différentiel de prix. L’enquête sectorielle réalisée par la Commission européenne en 2007 a ainsi estimé que les opportunités manquées d’échanges sur la frontière entre l’Allemagne et les Pays-Bas en 2004 pouvaient s’élever jusqu’à 50 millions d’euros, soit la moitié de la valeur totale des échanges entre ces deux pays [10].
La solution pour optimiser les échanges aux horizons journalier et infra-journalier a été d’attribuer les droits d’utilisation des interconnexions de manière implicite, c’est-à-dire de manière conjointe aux échanges d’énergie. Différentes initiatives régionales volontaires ont vu le jour avant que le couplage des marchés ne soit défini en 2015 par les codes réseau « CACM » (« Capacity Allocation and Congestion Management ») comme la solution cible et juridiquement contraignante pour les échéances journalière et infra-journalière.
Ainsi la France a successivement été couplée en 2006 avec le Bénélux, en 2010 avec l’Allemagne et l’Autriche, en 2015 avec la Grande-Bretagne (découplée depuis à cause du Brexit), la Pologne, les pays nordiques (Finlande, Suède, Norvège, Danemark), les pays baltes, les pays du Sud (Espagne, Portugal, Italie et Slovénie) et en 2018 avec l’Irlande et la Croatie. Enfin, la Grèce, la Hongrie, la Roumanie, la Slovaquie et la République Tchèque ont rejoint depuis 2021 cette vaste zone d’échange. Les marchés sont aujourd’hui couplés dans 25 pays qui représentent plus de 98 % de la consommation d’électricité de l’Union Européenne [11].
Figure 3 : Évolution du couplage des marchés de gros journalier de l’électricité dans l’UE (2010 - 2021)
Source : Rapport ACER [12] sur la fonctionnement des marchés de l’électricité – Avril 2022
Concrètement, les acteurs de marché de chaque zone de prix soumettent chaque jour en J-1 avant midi leur carnet d’ordre d’achat et de vente à leur opérateur de marché désigné (« Nominated Electricity Market Operator », ci-après « NEMO »), les bourses d’électricité certifiées pour effectuer le couplage des marchés.
Les GRT transmettent les capacités d’échange aux frontières et les contraintes d’allocation aux centres de coordination régional (« Regional Coordination Centrer », ou « RCC ») qui calculent les capacités d’échange aux frontières pour chaque région de calcul de capacité [13] (« Capacity Calculation Regions », ou « CCR »).
En J-1 à midi, lors du couplage des marchés journaliers, les NEMO exécutent l’algorithme EUPHEMIA (Pan-European Hybrid Electricity Market Integration Algorithm) qui calcule les prix et alloue simultanément les capacités d’interconnexions transfrontalières dans toute l’Europe en maximisant la valeur économique générale.
Après la clôture du marché journalier, et jusqu’à une heure avant le temps réel, les acteurs de marché peuvent acheter ou vendre de l’électricité en continu sur le marché infra-journalier avec un accès implicite et gratuit à la capacité transfrontalière résiduelle via la plateforme XBID lancée depuis 2018 ou explicite via les enchères infra-journalières à venir introduites par l’agence de coopération des acteurs de l’énergie (ACER) en 2019.
III. Couplage des marchés : l’enjeu du calcul de capacité
Le couplage des marchés fait correspondre aux offres d’achats de toutes les zones de prix couplées les moyens de production les moins chers de l’ensemble de la zone interconnectée. Cette mutualisation est toutefois contrainte par les capacités d’import et d’export du réseau à chaque frontière. La manière dont sont calculées ces capacités est donc particulièrement déterminante pour maximiser les échanges transfrontaliers tout en garantissant la sécurité du réseau. Les méthodologies de calcul de capacités diffèrent selon les régions de calcul de capacité et selon les échéances temporelles auxquelles les produits sont échangés (long-terme, journalière et infra-journalière). Deux approches sont possibles :
- L’approche NTC fondée sur la capacité de transport nette détermine ex ante les capacités d’échange de manière bilatérale entre deux zones de prix. Dans cette approche, chaque GRT définit individuellement une répartition fixe des capacités d’échanges à la frontière considérée. La coordination s’effectue entre les deux GRT : ils comparent leurs valeurs et ne retiennent que les plus limitantes. Par exemple, si le GRT français prévoit un export vers l’Allemagne de 1 000 MW et que le GRT allemand prévoit un import depuis la France de 1 500 MW, c’est la valeur de 1 000 MW qui est retenue. Les capacités offertes sont de plus indépendantes : une faible utilisation de la capacité sur la frontière allemande ne permet pas une augmentation sur la frontière belge.
- L’approche « Flow-based » fondée sur les flux prend en compte l’influence conjointe des échanges commerciaux sur l’ensemble des zones de prix d’une région de calcul de capacité en dédiant la capacité physique des lignes aux échanges ayant le plus de valeur économique (c’est-à-dire où le différentiel de prix est le plus important). Cette simulation des flux d’électricité à l’échelle de l’ensemble de la région de calcul de capacité permet au centre de coordination régionale en charge du calcul de capacité d’optimiser l’utilisation des interconnexions et de maximiser ainsi les échanges au plus proche des limites du réseau sur les frontières où ils sont les plus nécessaires, bien au-delà de ceux résultant de la méthode NTC.
Pour illustrer la différence entre les deux méthodes de calcul de capacité d’échange transfrontalière considérons l’exemple* suivant :
Figure 4 : Schéma simplifié de la configuration des lignes d’interconnexions aux frontières
Source : UFE
Sur la frontière France-Espagne, RTE et son homologue espagnol fixent la capacité maximale d’import et d’export entre la France et l’Espagne par la méthode NTC. Le calcul tient compte de la topologie du réseau à la frontière, des programmes de production et d’effacement ainsi que des marges physiques dont doivent disposer les interconnexions en cas d’aléa de perte d’un ouvrage. A l’issue du calcul, deux valeurs sont obtenues (import, export) par chaque GRT mais seules les valeurs limitantes sont retenues.
La situation est plus complexe pour l’Allemagne et la Belgique, qui partagent, du fait de leur proximité géographique, une même capacité d’interconnexion avec la France. Avec la méthode NTC, RTE attribuait jusqu’en 2015 les capacités maximales en les répartissant a priori sur chacune des deux frontières. Par exemple, dans le cas où l’Allemagne souhaitait importer 1 000 MW et la Belgique 0 MW, il pouvait résulter des deux coordinations bilatérales que les capacités maximales d’export fixées puissent être de 500 MW dans les deux pays. Dans une pareille configuration, les besoins de l’Allemagne n’auraient été ainsi satisfaits qu’à hauteur de 50 %, tandis que toute la capacité de transport réservée pour l’export vers la Belgique aurait été perdue.
Avec la méthode flow-based, RTE fixe désormais une capacité maximale globale pour l’export vers les 2 pays. L’algorithme du centre de coordination régionale calcule ensuite, tenant compte des flux à chaque frontière au sein de la région Core [14], la solution optimale d’import/export vers chacun des deux pays. Dans l’exemple précédent, alors que l’Allemagne ne pouvait importer que 500 MW, elle pourra importer les 1 000 MW dont elle a besoin. A l’inverse, le réseau sera mis au service des échanges vers la Belgique si l’heure suivante c’est elle qui a besoin d’importer.
*Exemple issu d’une vidéo de la Commission de régulation de l’énergie.
D’abord mise en œuvre de manière volontaire dans la région de calcul centre-ouest Europe (« Central West Europe ») dès mai 2015, l’approche flow-based a été définie comme le modèle cible par le règlement CACM de 2015. Elle a ainsi été étendue en juin 2022 à l’ensemble des 13 pays de la région Core (Europe centrale) pour l’échéance journalière et sera adoptée à terme pour les échéances long terme, infra-journalière et d’équilibrage.
L’article 20(7) du règlement CACM prévoit toutefois que les gestionnaires de réseau de transport peuvent proposer la mise en œuvre d’une approche NTC coordonnée dans les régions de calcul de capacité où les frontières ont peu d’influence les unes sur les autres à condition de démontrer que l’approche flow-based ne « serait pas plus efficiente que l’approche NTC coordonnée à niveau égal de sécurité d’exploitation dans la région concernée ». C’est le choix qui a été fait par les GRT de la région Europe du sud-ouest (« South West Europe » [15]).
Conclusion
Le couplage des marchés est donc un aspect essentiel du fonctionnement des marchés de gros de l’électricité. Il maximise la valeur économique des zones de prix interconnectées en assurant une utilisation optimale des capacités de production, d’effacement et d’interconnexion en Europe : des économies sont réalisées si une production moins chère est disponible ailleurs dans la mesure des capacités d’interconnexion disponibles. Importatrice nette en 2022, la France a ainsi bénéficié au plus fort de la crise des prix, des interconnexions avec les autres pays européens et de leur fonctionnement pour limiter la hausse des prix dans l’Hexagone.
Si la grande majorité des pays de l’Union Européenne sont aujourd’hui couplés, il demeure toutefois des différences de mise en œuvre de ce couplage selon les frontières au niveau de la méthodologie du calcul de capacité transfrontalière.
Notes
[1] Du jour pour le lendemain.
[2] Voir fiche OIE : La gestion de l’équilibre du système électrique.
[3] Le marché européen de l’électricité est actuellement organisé selon une approche zonale : au sein d’une zone de prix (bidding zone en anglais), les prix de gros de l’électricité pour chaque heure sont les mêmes et les échanges sont réputés illimités. Les frontières des zones de prix coïncident le plus souvent avec les frontières nationales. Ainsi, la France est actuellement constituée d’une zone de prix. Les pays faisant exception sont la Suède, la Norvège, le Danemark et l’Italie divisés en plusieurs zones de prix, et le Luxembourg, qui partage une même zone de prix avec l’Allemagne.
[4] La majorité des échanges sur le spot ayant lieu à l’échéance journalière, le prix de marché journalier est souvent assimilé au prix de marché spot.
[5] Il inclut le coût du combustible, le coût des émissions directes de CO2 valorisées au travers du système d’échanges de quotas EU ETS, les coûts opérationnels hors combustibles et les coûts de maintenance.
[6] Coût variable correspondant à la production d’un kWh supplémentaire.
[7] Schéma décennal de développement du réseau, 2019, RTE.
[8] Voir fiche OIE : La gestion de l’équilibre du système électrique.
[9] L’allocation explicite reste privilégiée aujourd’hui pour les échanges à terme.
[10] Evolution of electricity markets in Europe, chapitre 2, Who gets the rights to trade across borders ?, Leonardo Meeus and Tim Schittekatte, 2020.
[12] ACER’s Final Assessment of the EU Wholesale Electricity Market Design April 2022.
[13] Une région de calcul de capacité est la zone géographique au sein de laquelle est effectué le calcul coordonné de la capacité. La France fait partie de quatre régions de calcul de capacité : la région Core (Europe centrale), la région Italie Nord (Italy North), la région Europe du Sud-Ouest (South West Europe) et la région Manche (Channel).
[14] La région de calcul de capacité Core (Europe centrale) comprend les pays de l’ancienne région centre – ouest Europe (Benelux, Allemagne, Autriche, France) ainsi que la Pologne, la Slovaquie, la République Tchèque, la Slovénie, la Croatie, la Roumanie et la Hongrie.
[15] La région de calcul de capacité SWE (Europe du sud-ouest) comprend la France, l’Espagne et le Portugal.