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Gaz à effet de serre : Quoi, pourquoi, combien ?

La lutte contre les émissions de gaz à effet de serre figure au cœur des enjeux énergétiques internationaux. La ratification de l’Accord de Paris en décembre 2015 oblige les 196 pays signataires, ainsi que l’Union européenne, à garantir le maintien de « l’augmentation de la température moyenne mondiale bien en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels » et la poursuite des efforts « pour limiter l’augmentation de la température à 1,5°C au-dessus des niveaux préindustriels ». Au travers de la loi Energie-Climat promulguée en novembre 2019 [4], la France, pays hôte de la convention, s’est engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 40 % entre 1990 et 2030. Dans ce texte figure également l’objectif de l’atteinte de la neutralité carbone à horizon 2050, correspondant à une réduction des émissions territoriales d’un « facteur supérieur à 6 » par rapport aux niveaux de 1990. A l’échelle européenne, l’Union s’est également engagée à atteindre la neutralité carbone en 2050 [5] et a révisé ses trajectoires, portant désormais à 55 % net [6] l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2030, contre 40 % initialement.
Dans ce contexte, l’Observatoire de l’Industrie Electrique (OIE) revient sur la définition des gaz à effet de serre, sur les notions de comptabilité carbone et propose une analyse sectorielle des émissions.

I. Emissions de gaz à effet de serre et comptabilité carbone : de quoi parle-t-on ?

Les gaz à effet de serre (GES) sont des composants gazeux, naturels ou d’origine anthropique, qui contribuent au changement climatique en absorbant une partie du rayonnement infrarouge émis par la surface terrestre. Si le principal gaz à effet de serre est la vapeur d’eau, le dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4), le dioxyde d’azote (N2O) et le groupe des gaz fluorés sont les principaux gaz à effet de serre dont la concentration est liée à l’activité humaine. L’augmentation de leur concentration dans l’atmosphère catalyse l’absorption du rayonnement infrarouge et engendre une hausse de la température moyenne du globe.

Ces différents GES ne contribuent pas tous dans les mêmes mesures au phénomène. Leur impact sur le réchauffement dépend de deux caractéristiques que sont le pouvoir de réchauffement et la durée de vie dans l’atmosphère. La contribution de chacun de ces gaz à l’effet de serre doit donc nécessairement s’évaluer sur la base d’un indicateur commun qui internalise ces différences dans la mesure du possible et les échelonne selon une méthodologie et une unité commune : c’est le rôle du Pouvoir de Réchauffement Global (PRG). Il exprime le pouvoir de réchauffement global de chaque molécule sur une période donnée, généralement égale à 100 ans, en se basant sur une équivalence de l’effet du CO2, majoritaire dans le volume des émissions et dans l’atmosphère.

Selon cet indicateur et à des fins d’illustrations, 1 kg de CH4 produira le même effet que 28 kg de CO2 émises dans l’atmosphère, sur une durée de 100 ans [7]. Le PRG à 100 ans du méthane s’élève ainsi à environ 28. Toutefois, l’une des limites de cet indicateur est qu’il a des difficultés à prendre en compte convenablement la durée de vie des gaz dans l’atmosphère. En effet, le CO2, qui est un gaz très stable, a une durée de vie très longue (supérieure à 1000 ans). Ainsi, le réchauffement qui en résulte est donc principalement dû à un effet d’accumulation. Le CH4, beaucoup plus instable, présente une durée de vie plus courte proche de 12 ans. L’effet de réchauffement est donc déterminé par sa concentration à court terme.

Sur une base de 100 ans, l’effet du CH4 sera donc sous-estimé au début de cette période, tandis que celui du CO2 sera sous-estimé après cette période. Pour rendre compte de cette non-linéarité, d’autres indicateurs existent, comme le PRG20 ou le PRG500, qui calculent le pouvoir radiatif des gaz à effet de serre selon la même méthodologie, mais sur des bases respectivement égales à 20 et 500 ans. Dans le PRG20, le CH4 sera donc logiquement plus fort qu’à 100 ans (81 kgCO2eq contre 28 kgCO2eq), tandis que dans le PRG500, il sera moins fort qu’à 100 ans (8 kgCO2eq contre 28 kgCO2eq).

Bien que ces limites soient connues, le PRG demeure l’indicateur le plus pertinent pour comparer les effets des différentes émissions de gaz à effet de serre entre-elles. Par convention et dans le cadre des négociations climatiques internationales, c’est le PRG100 qui est utilisé. Selon celui-ci, il est alors possible de réaliser une « comptabilité carbone » qui permet aux Etats de mesurer et de suivre le volume de leurs émissions et d’évaluer de fait leur contribution au changement climatique.

Emissions nationales et empreinte carbone, quelle différence ?

Les émissions « nationales » de gaz à effet de serre de la France sont celles associées aux biens et aux services réalisés ainsi qu’aux énergies consommées sur le territoire français. Il s’agit des émissions pour lesquelles la France dispose de la plus grande capacité juridique à réglementer. L’objectif de réduction d’émissions de gaz à effet de serre fixé par la loi Energie-Climat s’applique ainsi à ces émissions nationales.
L’empreinte carbone de la France représente les émissions de gaz à effet de serre liées aux biens et services consommés, par les ménages, les entreprises, l’Etat et les collectivités locales, sur le territoire français quel que soit leur lieu de production. Dans la même logique, cet indicateur ne comptabilise pas les émissions liées à la production des biens et services exportés par la France. L’empreinte carbone de la France est nettement supérieure aux émissions « nationales » : la moitié de l’empreinte carbone est en effet importée [8]. L’État français peut notamment réduire son empreinte carbone en engageant un processus de réindustrialisation ou via la négociation de clauses climatiques dans les traités internationaux qu’il signe.

II. La répartition des émissions nationales

En 2021, la répartition des émissions nationales de GES [9] en France était la suivante :

Selon l’inventaire du CITEPA, le CO2 représente 76 % des émissions de GES en France en 2021. Le CH4 en totalise 15 %. Il est principalement issu de deux secteurs d’activités spécifiques : 69 % des émissions de CH4 proviennent de l’agriculture/sylviculture, et 22 % du secteur des déchets. Les émissions de N2O, comptant pour 6 %, sont issues en grande majorité du seul secteur de l’agriculture/sylviculture. Enfin, les gaz fluorés, qui clôturent cet inventaire, représentent 3 % des émissions nationales. Ils sont issus des fuites de fluides frigorigènes utilisés dans certains équipements comme les réfrigérateurs. Ces gaz sont également présents dans les enceintes des postes électriques à haute-tension où ils servent à des fins d’isolation.

Les données de comptabilité précédentes représentent les émissions nationales de la France à l’échelle d’une année. Elles sont utiles pour suivre les effets de la mise en œuvre des politiques de réduction des émissions mais sont insuffisantes pour évaluer la quantité totale de gaz à effet de serre déjà présente dans l’atmosphère et à l’origine du changement climatique. En effet, puisque les gaz à effet de serre disposent d’une durée de vie supérieure à une année, et que le niveau d’émissions dépasse celui des capacités de stockage des puits de carbone [10], leur concentration dans l’atmosphère augmente d’année en année. Depuis 1840, et tout au long de l’ère industrielle, le niveau de concentration des gaz à effet de serre est donc passé de 283 ppmv (parties par million en volume) à 417 ppmv en 2022.

Pour que ce niveau de concentration cesse d’augmenter, il faut a minima que le niveau annuel des émissions de gaz à effet de serre égale celui des capacités de stockage des puits de carbone. C’est le principe de la neutralité carbone, dont l’objectif d’atteinte est fixé pour 2050. Pour y parvenir, il faut comprendre l’origine des émissions et en identifier les sources par une approche sectorielle.

III. Approche sectorielle des émissions

Le graphique suivant présente l’évolution historique des émissions de gaz à effet de serre en France par secteur de contribution.

Les émissions nationales de la France atteignaient 539 MtCO2eq en 1990 et 415 MtCO2eq en 2021 (hors UTCATF). Sur l’ensemble de la période, les émissions ont donc baissé de près de 23 % en 30 ans [11]. Elles ont atteint un point maximum en 1991, à 571 MtCO2eq.

Le secteur des transports est le secteur le plus émetteur de gaz à effet de serre depuis 1998. En 2021, le secteur des transports est responsable de 31 % des émissions, hors secteur énergétique. En baisse depuis 2017, les émissions ont toutefois connu une nouvelle augmentation en 2021 par rapport à 2020, due à la reprise d’activité après la crise sanitaire. Ces émissions sont attribuées principalement au transport routier, et plus spécifiquement aux véhicules particuliers essence et diesel, ainsi qu’aux véhicules utilitaires et poids lourds diesel. Le transport aérien est le mode le plus représenté dans la catégorie des autres moyens de transport. La consommation d’énergie fossile est la principale cause de ces émissions, puisque le secteur en dépend à plus de 95 %.

C’est le secteur de l’industrie manufacturière et de la construction qui porte la seconde part de responsabilité la plus importante, à hauteur de 19 % des émissions nationales en 2021. Jusqu’en 1998, c’était d’ailleurs le secteur le plus émetteur avant que les transports ne le deviennent. En 1990, les émissions de ce secteur atteignaient 139 MtCO2eq, contre 78 MtCO2eq aujourd’hui, ce qui représente une baisse de près de 50 %. Elles sont dues en majeur partie aux industries chimique, métallurgique des métaux ferreux et papier-carton, consommatrice d’énergies fossiles pour la production de chaleur.

En 2021, le secteur de l’agriculture était le troisième secteur le plus émetteur. Les niveaux d’émissions de CO2eq ont peu évolué entre 1990 et 2021 par rapport à la progression affichée par les autres secteurs. Elles passent de 88 MtCO2eq à 77 MtCO2eq et ne s’améliorent donc que de 12 %. Elles sont essentiellement dues aux émissions de méthane induites par l’élevage (dont les bovins sont responsables à plus de 80 %) et de dioxyde d’azote induites par les engrais de culture. Les engins, moteurs et chaudières, consommant de l’énergie fossile, ne représentent que 13 % des émissions de CO2eq du secteur. Bien que la progression soit due aux améliorations faites sur l’élevage et la culture, les émissions demeurent plus difficilement compressibles comparativement aux autres secteurs. Dans une configuration de mix énergétique décarboné indépendant des énergies fossiles, le gain d’émissions serait tout au plus de 10 MtCO2eq supplémentaire, toutes choses égales par ailleurs, ce qui ne représenterait un gain que de 12 % par rapport au niveau actuel.

Le secteur de l’usage des bâtiments était le quatrième secteur le plus émetteur en 2021. Les émissions du secteur évoluent de 93 MtCO2eq en 1990 à 75 MtCO2eq aujourd’hui, ce qui représente une amélioration de près de 20 %. Elles sont dues à plus de 85 % au chauffage, à l’eau chaude sanitaire et à la cuisson des bâtiments résidentiels et tertiaires, consommateurs d’énergies fossiles comme le gaz, le fioul, le gaz de pétrole liquéfié ou encore le charbon. L’électricité et les réseaux de chaleur vertueux, vecteurs énergétiques décarbonés, sont également utilisés mais les émissions associées à leur production sont comptabilisées dans le secteur de l’industrie de l’énergie. En complément des pratiques de rénovations environnementales des bâtiments [12], le report d’usage vers le vecteur électrique est un excellent moyen de réduire les émissions du secteur [13].

Le secteur de l’industrie de l’énergie est le cinquième secteur le plus émetteur. Ses émissions passent de 79 MtCO2eq en 1990 à 43 MtCO2eq en 2021, ce qui correspond à une baisse de près de 46 % sur la période. Cette amélioration s’explique à plus de 60 % par la baisse des émissions associées à la production d’électricité. Elles atteignaient 41 MtCO2éq en 1990 et s’établissent aujourd’hui à 20 MtCO2eq. L’abandon progressif du charbon, du fioul et le moindre recours au gaz dans la production d’électricité française sont à l’origine de ces réductions d’émissions sur cette période. Les émissions de raffinage associées au raffinage du pétrole expliquent quant à elles plus de 25 % de la progression des émissions du secteur constatée entre 1990 et 2021. Entre 1990 et 2021, les émissions du raffinage ont été réduites par un facteur supérieur à 2, passant de 15 MtCO2eq en 1990 à 6 MtCO2eq en 2021. Là encore, les énergies fossiles sont à l’origine de la quasi-intégralité de ces émissions.

Le secteur du traitement centralisé des déchets est enfin le secteur le moins émetteur de gaz à effet de serre. Les émissions s’améliorent de 1 MtCO2eq entre 1990 et 2021, passant de 16 à 15 MtCO2eq. Le stockage des déchets, émetteur de méthane, porte une part de 80 % de responsabilité dans ces émissions. Les énergies fossiles sont peu utilisées.

IV. Conclusion

Ce panorama sectoriel des émissions atteste de la grande responsabilité des énergies fossiles dans les émissions de gaz à effet de serre nationales. Beaucoup de secteurs en sont encore fortement dépendants. Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, il existe toutefois trois leviers que sont le recours à la sobriété énergétique, à l’efficacité énergétique et aux énergies les moins carbonées dès lors que toutes ne présentent pas le même contenu carbone [14].

Notes

[1LOI n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat

[2Loi Climat pour l’Europe, juillet 2021

[4LOI n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat

[5Loi Climat pour l’Europe, juillet 2021

[7Sixième rapport d’évaluation du GIEC, 2021

[8SDES, « L’empreinte carbone de la France de 1995 à 2021 », novembre 2022

[9Le périmètre retenu ici ne comprend pas le secteur UTCATF (Utilisation des Terres, Changement d’Affectation des Terres et Foresterie). Ce dernier a représenté un puits carbone de 17 MtCO2eq en 2021.

[10Réservoir naturel ou artificiel qui stocke le CO2 en dehors de l’atmosphère. Les principaux sont les océans, les sols et les forêts.

[11A titre de comparaison, l’empreinte carbone de la France est estimée à environ 604 millions de tonnes équivalent CO2 (Mt CO2 eq) en 2021, soit une diminution de 9 % par rapport à 1995.

[13OIE, « Contenu carbone des énergies : et l’électricité dans tout ça ? », juillet 2023

[14OIE, « Contenu carbone des énergies : et l’électricité dans tout ça ? », juillet 2023