Politique énergétique
Prix de l’électricité en France : La fourniture d’électricité
Les coûts associés à la fourniture d’électricité représentent 38 % de la facture d’électricité des ménages en 2021 [2].
L’OIE analyse dans cette note l’évolution historique des prix de gros de l’électricité et présente les besoins d’investissements attendus dans le parc de production français.
Les points-clés
- La part liée à la fourniture d’énergie est la seule sur laquelle se fait la différence entre les tarifs réglementés et les offres de marché. Elle comprend l’approvisionnement en électricité, mais aussi les coûts liés à la commercialisation, parmi lesquels on peut citer la facturation et les Certificats d’Economies d’Energie (CEE).
- La forte envolée des prix de gros de l’électricité qui a lieu depuis 2021 résulte de l’accumulation d’un ensemble de facteurs conjoncturels que sont l’envolée des prix du gaz et du charbon, la hausse du prix du CO2 et, plus récemment, la faible disponibilité du parc nucléaire.
- La mise en œuvre de la transition énergétique va nécessiter des investissements conséquents dans la production et les réseaux. L’optimisation de ces investissements permettra de limiter les coûts pour le consommateur final d’électricité.
NB : Dans un contexte de fortes évolutions des prix d’approvisionnement et de mises en place de dispositifs exceptionnels tels que le bouclier tarifaire, la présente note s’efforce de présenter des évolutions et des structures tendancielles.
I. Des prix de gros qui fluctuent fortement
La fourniture d’électricité correspond à la part de la facture des ménages et industries destinée à couvrir les coûts de production d’électricité, ou à son approvisionnement sur les marchés de gros, ainsi que les coûts relatifs à sa commercialisation.
S’agissant des échanges sur les marchés de gros, on distingue deux types de produits :
• Les produits de long-terme, dits « produits à terme », sont échangés sur la bourse EEX derivatives, ou bien par le biais de contrats en gré-à-gré intermédié ou bilatéral pur. Ils s’échangent aux échéances annuelles, trimestrielles, mensuelles et hebdomadaires ;
• Les produits de court-terme, dits « produits SPOT », sont échangés sur la bourse EPEX SPOT. Ils s’échangent aux échéances journalière (J-1) et infrajournalière (jusqu’à H-1).
Les prix auxquels s’échangent les produits à terme résultent d’une anticipation des prix SPOT pour l’échéance considérée. Ils permettent aux fournisseurs d’électricité de couvrir la consommation estimée à terme de leur portefeuille client et de se couvrir face au risque d’envolée des prix sur le marché des produits SPOT. Les produits SPOT permettent aux fournisseurs d’équilibrer leur périmètre à l’approche de la livraison grâce à une meilleure visibilité sur la disponibilité des moyens de production et sur la consommation de leur portefeuille clients. Les fournisseurs doivent alors arbitrer entre le recours aux produits à terme et le recours aux produits SPOT : il s’agit de la stratégie de couverture. L’édition 2020 du rapport de surveillance des marchés de gros de l’électricité de la CRE indique à ce titre que les échanges établis sur le marché SPOT ne représentent que 20% des produits échangés à l’échelle européenne entre les zones de marchés [3]. Leur évolution depuis 2016 est présentée sur le graphique ci-dessous.
1. Une tendance à la baisse au début des années 2010
Au début des années 2010, les prix de gros de l’électricité, avoisinaient les 60 €/MWh. A la mi-2016, ces prix de gros de l’électricité ont été divisés par trois par rapport à cette valeur, passant d’environ 60 €/MWh à 20 €/MWh. Cette évolution sur les marchés de gros a résulté de la combinaison de trois éléments :
1. l’installation de nouveaux moyens de production en France et en Europe, en raison notamment du développement subventionné des énergies renouvelables [4] ;
2. la stabilité de la demande électrique en raison d’une croissance économique modérée et de la mise en œuvre de politiques d’efficacité énergétique ;
- La conjugaison de ces deux premiers facteurs a conduit naturellement à une surcapacité de production et donc à une dépréciation du prix de l’électricité sur le marché de gros.
3. un prix sur le marché européen des quotas carbone très faible qui a renforcé la tendance baissière des prix de gros [5].
2. Une variabilité des prix historiquement contenue mais récemment perturbée par la crise sanitaire…
Entre mi-2016 et début 2020, les prix de gros de l’électricité ont varié dans un couloir de prix compris entre 20 €/MWh et 100 €/MWh. Les hausses des prix sur cette période sont surtout observées lors des épisodes hivernaux, mobilisant des centrales à combustibles fossiles pour faire face à la hausse de la consommation. Ces centrales, dites de pointes, disposent de coûts marginaux plus élevés du fait des prix des combustibles gaz et charbon. Entre 2016 et 2018, ces derniers ont augmenté, ce qui explique en partie, avec la croissance économique, les prix élevés. Ces coûts marginaux incluent également une variable relative aux émissions de CO2, valorisées par le prix du carbone, qui a connu une hausse à partir de 2018. Il faut attendre l’année 2019 pour constater une inversion de tendance : les prix décroissent petit à petit, grâce à une forte diminution des prix du gaz et à un hiver plus doux. Les prix oscillent autour de 30 €/MWh jusqu’en janvier 2020.
Les prix de gros ont ensuite continué leur décrue, jusqu’à être divisés par deux durant le premier tiers de l’année 2020 à cause des multiples confinements liés à la crise sanitaire. En effet, ces confinements ont entraîné une baisse historique de la consommation d’électricité dans de nombreux pays, décalant de fait les prix de gros vers le bas en application de la logique de préséance économique constitutive du marché européen de l’électricité (aussi appelé le « merit order »).
3. …et par une crise énergétique aux causes multiples
La forte hausse des prix de gros de l’électricité qui a lieu depuis 2021 résulte de l’accumulation d’un ensemble de facteurs conjoncturels que sont l’envolée des prix du gaz et du charbon, la hausse du prix des quotas carbone et, plus récemment, la faible disponibilité du parc nucléaire national.
Les centrales de production d’électricité à partir du gaz sont ainsi très majoritairement les unités marginales sur le marché de gros européen. La hausse du prix du gaz est elle-même due à d’importantes difficultés d’approvisionnement qui s’expliquent par plusieurs raisons :
- La forte reprise de l’activité économique qui fait suite à la pandémie de Covid,
- L’augmentation de la demande en gaz naturel liquéfié en Asie (et notamment en Chine, avec une consommation en hausse de 25 % en un an) en raison d’une transition progressive du charbon vers le gaz,
- Des importations insuffisantes en provenance de Norvège (en raison du report sur 2021 des opérations de maintenance sur les champs gaziers prévues en 2020) et de Russie (en raison de la guerre en Ukraine),
- La forte thermosensibilité de la demande de gaz (5 400 MW de consommation supplémentaire par degré en moins) qui s’est traduite, avec un hiver et un printemps 2021 plus frais que la moyenne, par un niveau plus élevé de consommation contribuant à vider les stocks européens.
En ce qui concerne plus spécifiquement la production d’électricité, les coûts de fonctionnement des centrales à gaz et au charbon sont également influencés par les prix des quotas carbone européens. Or, la publication durant l’été 2021 par la Commission Européenne des textes du paquet « Fit for 55 » et la révision des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre à 55 % d’ici 2030 ont envoyé un signal haussier au prix du carbone. Le prix de la tonne de CO2 oscille ainsi autour de 85 € depuis le printemps 2022, soit un doublement par rapport à la même période en 2021. De façon plus générale, avant l’année 2018 le prix de la tonne de CO2 était trop faible pour réenchérir le coût de production des moyens émetteurs de CO2 et ainsi refléter une véritable ambition climatique.
Enfin, la disponibilité historiquement basse du parc nucléaire français depuis décembre 2021 n’a fait qu’amplifier le phénomène. Certains réacteurs sont arrêtés dans le cadre des opérations planifiées du grand carénage, d’autres ont vu leur calendrier de maintenance décennale décalé à la suite de la crise sanitaire et, plus récemment, certains réacteurs sont à l’arrêt pour traiter les phénomènes imprévus de corrosion sous contrainte. Les dernières annonces d’EDF prévoient ainsi une production nucléaire cible d’environ 280 à 300 TWh en 2022, contre 380 à 400 TWh entre 2016 et 2019 avant la crise sanitaire. Cette baisse de la disponibilité du parc nucléaire a des conséquences sur les prix de marché :
- Sur le marché SPOT, elle réduit la quantité d’électricité produite à faibles coûts et conduit à mobiliser des actifs aux coûts marginaux plus élevés ;
- Sur le marché à terme français, elle suscite une crainte quant au risque d’un déséquilibre offre/demande pour l’hiver 2022-2023 qui se répercute directement sur les prix.
II. Des besoins d’investissements importants
Depuis plusieurs années, la France s’est engagée dans la lutte contre le réchauffement climatique. La signature des Accords de Paris en 2015 d’une part, et l’inscription en 2019 dans la loi énergie et climat de l’objectif d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 en divisant les émissions de gaz à effet de serre par un facteur supérieur à six d’autre part, en sont les traductions concrètes.
Afin de garantir le succès de cette transition énergétique, de profondes évolutions vont venir transformer le système électrique français. Si certaines ont déjà été amorcées par les acteurs de l’industrie électrique, ces transformations nécessitent encore la réalisation d’investissements importants. Ces derniers concernent aussi bien l’accélération du déploiement des énergies renouvelables (y compris leur intégration dans le système électrique) et l’évolution du parc nucléaire (au travers notamment du grand carénage et du financement de nouveaux réacteurs) que les besoins de capacités thermiques utilisant du gaz décarboné pour garantir la sécurité d’approvisionnement du système électrique français. La loi de programmation sur l’énergie et le climat qui sera débattue au parlement en 2023 devra en ce sens fixer dans le détail les objectifs d’évolution du système électrique français au sein de la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (PPE) et de la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC).
Quand bien même les coûts d’investissements liés au déploiement des énergies renouvelables continueraient de diminuer fortement grâce aux progrès techniques réalisés et à l’accumulation d’économies d’échelles (environ -30 % pour l’éolien terrestre, entre -30 à -50 % pour l’éolien en mer et entre -35 à -40 % pour le photovoltaïque sur la période 2020-2050 [6]), les besoins de développement du parc renouvelable sont tels que les coûts d’investissements globaux vont évoluer à la hausse. Dans tous les scénarios du rapport « Futurs énergétiques 2050 » de RTE, le rythme d’installation est par exemple multiplié a minima par 2 pour le photovoltaïque par rapport au rythme historique (entre 2009 et 2020), pour l’éolien en mer le rythme se doit d’être aussi conséquent que celui historique d’1 GW installé par an en Grande-Bretagne et, enfin, pour l’éolien terrestre le rythme français moyen de 1,2 GW installé par an entre 2009 et 2020 doit au moins être pérennisé. Le gestionnaire du réseau de transport considère ainsi que l’investissement cumulé dans les énergies renouvelables évoluerait dans une fourchette comprise entre 220 et 330 Mds€ sur la période 2020-2060 en fonction des scénarios suivis. Malgré ces importants investissements, l’étude de RTE montre que le coût global (rapporté au MWh) du système électrique national est susceptible d’augmenter mais dans des proportions qui peuvent être maîtrisées (de l’ordre de 15 % en vision médiane).
Enfin, ces montants d’investissement doivent être mis en perspective d’autres dépenses pour la transition énergétique, qui s’avèrent importantes. En particulier, RTE estime l’investissement dans la rénovation des bâtiments pour décarboner les besoins de chaleur (isolation et remplacement d’équipements fossiles par des pompes à chaleur notamment) à environ 30 Mds€ par an, et l’enveloppe nécessaire pour développer les infrastructures nécessaires aux recharges des véhicules électriques à environ 6 Mds€ par an.
Lancé en 2005, le dispositif des Certificats d’Economies d’Energie (CEE) oblige les fournisseurs d’énergie à réaliser ou à faire réaliser un certain niveau d’économies d’énergie chez les consommateurs. Certains consommateurs sont aidés financièrement pour réaliser des actions d’efficacité énergétique, le coût supporté par les fournisseurs étant ensuite répercuté dans les prix des énergies.
Les objectifs fixés pour la 5e période des CEE, qui s’étend de janvier 2022 à décembre 2025, ont augmenté de 45 % par rapport à la précédente période. Ce niveau a été revu à la hausse (+ 25 %), 6 mois à peine après l’entrée en vigueur de la période. Par construction, cet effort supplémentaire se répercutera sur la facture du consommateur, le dispositif pesant d’ores et déjà pour 3 % à 4 % des dépenses énergétiques des Français [7].
Afin d’approfondir le sujet du prix de l’électricité en France, consultez les 3 autres notes de l’Observatoire de l’Industrie Électrique :
Notes
[1] Eurostat
[2] Eurostat
[3] CRE, « Rapport de surveillance des marchés de gros de l’électricité et du gaz naturel en 2020 », juillet 2021
[4] Avec un effet volume, lié à l’ajout de nouvelles capacités, mais aussi un effet prix : le coût marginal des énergies renouvelables telles que l’éolien et le photovoltaïque étant nul elles décalent le merit order des moyens de production d’électricité, et donc le coût marginal de la dernière centrale appelé, facteur clé de formation des prix de l’électricité.
[5] Marché européen d’échange des quotas carbone (European Union Emission Trading Scheme, EU ETS)
[6] RTE, Futurs énergétiques 2050, février 2022